Sébastien Donner

De chair et de cendres
(Anamorphoses)
extrait n°2

Couverture delivre montrant une jeune femme rousse contemplant une lune gigantesque

EXTRAIT N°2
Premier contact

Sibylle n’était pas certaine d’être totalement réveillée. À bien y réfléchir, cet inquiétant salon plongé dans la nuit pouvait tout aussi bien n’être qu’un cauchemar.

Le corps lourd de courbatures, Sibylle se leva du canapé-lit. Elle tituba en direction de la salle de bain, capitula à mi-chemin et, à bout de forces, elle vint se rassoir au bord du matelas.

Elle jeta un œil à son smartphone en charge sur le sol et regarda les secondes défiler... Le temps semblait s’être arrêté.

- Putain de nuit de merde. Souffla-t-elle en se laissant tomber sur le canapé-lit.

C’est alors que Sibylle sentit quelque chose.

Elle tourna son regard rougi de fatigue sur l’obscur salon. Elle le ressentait au plus profond de son ventre :

Quelqu’un… Il y a quelqu’un, juste là, quelque part dans l’ombre !

Du point de vue d’un enfant terrorisé par le Monstre des Placards, la situation était délicate : l’interrupteur le plus proche était en effet diablement éloigné et exposé. Appeler à l’aide eût été terriblement gênant, et tout retrait stratégique était impossible.

Sibylle opta donc pour le grand classique de la survie nocturne infantile : se recroqueviller sous la couette.

Sa nature reprenant le dessus, la jeune femme releva un bord de sa chaude protection et risqua un œil vers les ténèbres.

Tout n’était qu’ombres et contours.

Sibylle plissa les yeux. Elle les plissait encore et encore quand… Une nouvelle évidence la frappa.

Cette même évidence s’empara de tout son être et, avant qu’elle eût pleinement réalisé ce qu’elle faisait, Sibylle traversait déjà le salon d’un pas étonnamment assuré. Son corps semblait savoir exactement où aller.

La jeune femme s’arrêta devant l’une des fenêtres du salon, qui donnait directement sur un trottoir situé trois étages plus bas. Vidée de toute émotion, vidée de toute volonté, Sibylle fixait désormais ce qui l’avait silencieusement appelée, juste là, au-dehors dans la nuit...

Face à elle, de l’autre côté du double vitrage, se tenait une jeune femme brune de son âge, entièrement nue. Le mauvais éclairage ne permettait pas de distinguer comment elle pouvait se maintenir ainsi, immobile et suspendue dans le vide de cette nuit glaciale. Elle ne forçait ni sur ses jambes ni sur ses bras… La gravité ne semblait tout simplement pas lui poser de difficulté.

Toujours incapable d’éprouver quoi que ce fût, Sibylle posa ses deux mains à plat sur la vitre et approcha lentement son visage. De l’autre côté de la vitre, l’étrangère fit de même.

Son visage aux lignes pures et ses cheveux bruns qui volaient au vent étaient ravissants. Elle fixait Sibylle de ses yeux verts luisants à l’expression indéchiffrable... Des pupilles vert émeraude d’une profondeur surnaturelle, où dansaient de très subtils reflets.

Sibylle s’y noyait lentement, s’abandonnant à une émotion qui la dépassait.

Elle s’approcha davantage de la vitre, au point de se plaquer contre le verre désagréablement froid.

Tout ceci était-il bien réel ?

La bouche entrouverte de Sibylle touchait presque la vitre, alimentant un disque de buée qui s’épaississait au rythme de sa respiration. De l’autre côté de la fenêtre, les lèvres de l’inconnue étaient tout aussi proches, mais elles ne projetaient aucun souffle. L’inconnue elle-même était d’ailleurs figée, comme morte. Seuls ses yeux étaient vivants… Plus vivants que n’importe quoi d’autre dans toute cette ville.

Sibylle fut alors saisie par une nouvelle évidence.

Des vies… Il y a tant de vies dans ce regard !

Cette vérité venait de la frapper avec une force qui lui serrait le cœur. Car, paradoxalement, ce vif regard d’émeraude dégageait une telle solitude !

Et, d’une indicible manière, cette solitude n’était pas totalement étrangère à Sibylle. L’impossible inconnue, derrière ce double-vitrage, aurait tout aussi bien pu être son reflet dans un miroir.

Submergée par une indescriptible vague émotionnelle, Sibylle tomba à genoux sur le sol. Quelque chose montait en elle. Quelque chose d’irrépressible, qui venait de très loin et la tétanisait.

Le souffle coupé, elle cherchait désespérément à inspirer un peu d’air… Son regard se leva vers celui de l’inconnue, dont les magnifiques reflets verts s’animèrent tel un écho mystique.

Le visage rouge de suffocation, Sibylle lui tendit une main tremblante. Avec une infinie douceur, l’inconnue posa la sienne au même endroit, de l’autre côté de la vitre. Une douce clarté commença à tout absorber, puis...

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