Sébastien Donner

La dévoreuse d'innocence : extrait n°2

Couverture de livre montrant un ange aux ailes ensanglantées dans un sous-bois

DOUBLE EXTRAIT N°2
Le second ange

[Contexte de l'histoire : les deux enfants d'Aline, Alexandre et Jérémy, sont perdus dans un marais surnaturel.]

Jérémy ouvrit les yeux. Il était toujours assis avec son frère, endormi sur le tronc noir abattu. Il leva la tête vers la voix qui venait de l’interpeler.

- Mais t’es qui, toi ? Balbutia-t-il d’une voix ensommeillée.

Face à lui se tenait une ravissante fillette, plus jeune que lui de deux ou trois ans. Blonde et vêtue d’une robe rouge assortie à ses ballerines, elle irradiait une certaine clarté… Comme si l’endroit où elle se tenait était le seul à être baigné de lumière. Le contraste avec le reste du sombre marécage était tel que la fillette semblait irréelle.

Jérémy frotta ses yeux rougis de fatigue. Il put seulement lancer d’une voix trainante :

- Comment tu t’appelles ?

L’intéressée se contenta de sourire silencieusement, tandis que Jérémy demeurait assis. C’est alors qu’un détail le frappa :

Sa robe… Ses chaussures… Elles sont sèches et propres !

La pluie noire continuait pourtant à tomber finement du ciel, sous la forme d’un crachin huileux. Elle détrempait l’ilot de terre des deux garçons, autour duquel tout n’était que tourbe et végétaux en décomposition.

En y regardant de plus près, Jérémy constata que les impeccables ballerines rouges de la fillette ne s’enfonçaient pas dans le sol, pourtant meuble. Elles l’effleuraient même à peine, comme si leur propriétaire était retenue par d’invisibles fils.

Jérémy bondit sur ses pieds et lança farouchement :

- Mais t’es qui à la fin ?

La jeune fille répondit dans un rire léger :

- Tu ne te souviens donc pas de moi ? Nous nous sommes pourtant très bien connus !

Constatant l’attitude hostile de Jérémy, la fillette marqua une pause, puis elle poursuivit avec une pointe de nostalgie :

- Il est vrai que nous nous sommes connus, mais c’était dans un autre rêve. Un rêve lointain et abimé, que l’on oublie facilement.

Jérémy haussa un sourcil soupçonneux puis s’énerva :

- Je 'comprends rien à ce que tu racontes !

Pour toute réponse, la jeune fille inclina la tête sur le côté en souriant avec toute la naïveté pétillante de sa jeunesse. Désarçonné par une telle innocence, Jérémy put seulement plisser des yeux perplexes.

La fillette affirma finalement :

- Ce n’est pas grave. Le plus important, c’est que je sois arrivée à temps.

- Arrivée à temps ?

- Oui, s’assoupir ici n’est pas une bonne chose. Rétorqua-t-elle en parcourant les environs d’un regard affecté. Nous devons d’ailleurs réveiller ton frère sans trop attendre.

Jérémy recula imperceptiblement, puis il lança avec défiance :

- T’es pas une fille normale !

- Oui, bien sûr, puisque je suis venue vous sauver ! S’enthousiasma-t-elle avec candeur.

Jérémy répliqua :

- T’es vraiment bizarre. Tu parles comme les grands… Et même mieux qu’eux ! Et puis surtout, tu…

- C’est donc là tout ce qui te préoccupe ? Le coupa la fillette avec amusement.

- Bah… C’est-à-dire que…

- Cet endroit... Les catastrophes qui viennent de s’abattre sur Alexandre et toi… Et je ne parle même pas du fait de retrouver ta mère, Aline ! Cela n’est-il pas plus important pour toi que tout le reste ?

Les bras de Jérémy s’affaissèrent mollement.

Les évènements récents défilaient devant ses yeux : La folie d’Aline, l’inquiétante cavalcade nocturne qui avait suivi, la forêt maléfique, et dorénavant ce marais. Tout cela lui revenait brutalement en tête, tel un cauchemar dont on se réveille… Avant de réaliser avec terreur qu’il s’agit de la réalité.

Remarquant la crispation soudaine du garçon, la fillette lança avec compassion :

- Des enfants de vos âges ne peuvent pas supporter les horreurs que vous venez de vivre ; ils recourent donc inconsciemment à des stratégies de survie psychologique. Ton frère s’est ainsi abrité dans une léthargie protectrice. Tu t’es pour ta part réfugié dans l’action, en concentrant toute ton énergie sur la protection d’Alexandre. Un tel stress ne pouvait pas durer indéfiniment… Heureusement pour vous, je suis là à présent, et je vais prendre soin de vous !

(...)
[Extrait suivant]

Jérémy reprit conscience, allongé sur la terre trempée de son petit ilot. Au-dessus de lui se dressait la fillette, toujours aussi enjouée :

- Te revoilà enfin !

A côté d’elle se tenait Alexandre. Il était réveillé, mais son regard absent et son attitude passive trahissaient le même état de choc.

Sans plus de formes, la fillette sourit, tendit une main vers Jérémy et lança avec entrain :

- Allez, on se lève et on se motive ; il est temps de se mettre en route !

Tel un automate dépourvu de volonté, Jérémy s’exécuta laborieusement.

Une fois relevé, il passa une main sur son front moite et fixa l’horizon sombre qu’il avait fui durant des heures de marche... Cette lointaine ligne ténébreuse soufflait toujours ses miasmes méphitiques sur le marécage désolé, et le peu de végétation qui subsistait semblait s’être rabougrie davantage.

Plus par réflexe que par volonté, Jérémy tourna un regard épuisé vers la jeune fille, et lança :

- Tu veux toujours pas me dire qui tu es ?

- Je ne suis rien de plus que la personne qui se tient devant toi en ce moment ! S’amusa la fillette. Mais s’il te faut à tout prix un prénom, alors appelle-moi Julia.

- Julia… Répéta Jérémy avec suspicion, comme si ce prénom recélait quelque piège. Julia…

Jérémy passa à nouveau une main sur son front, comprimé par une invisible barre glacée qui l’empêchait de se concentrer. Les évènements écoulés demeuraient une vague somme d’informations lointaines et enchevêtrées… Des données impossibles à appréhender réellement.

Etourdi par cet indéfinissable vertige, Jérémy demeura ainsi un long moment, l’esprit vide, à sentir le vent noir souffler sur son visage. Il ne parvenait à fixer son esprit sur aucun sujet, aucune émotion.

Il se retourna finalement vers la fillette, qui attendait patiemment à ses côtés :

- Julia... Tu as dit tout à l’heure que tu pouvais nous guider…

- Et tu te demandes comment je compte m’orienter dans cet endroit ? Eh bien c’est très simple, voici notre destination ! Rétorqua la jeune fille en pointant une gigantesque masse carrée, qui se fondait au loin dans l’horizon.

Jérémy plissa les yeux en se concentrant sur la chose. Sombre et écrasante, elle était semblable à un immense fort aux proportions d’une montagne. Seul un géant pouvait habiter une telle structure…

- Mais…. Ce truc n’était pas là tout à l’heure ! Protesta le garçon. Je l’aurais forcément vu puisque c’est dans cette direction que nous marchions !

La fillette partit dans un rire léger avant de répondre :

- Dans un rêve, tu peux errer aussi longtemps que tu marcheras droit devant toi. Les rêves n’ont en effet ni chemin ni carte… Car seul ton cœur décide de ta destination.

Jérémy n’écoutait pas les explications de la fillette, dont le sens lui échappait totalement. Il était absorbé par la contemplation hypnotique de la lointaine masse aux allures de fort démesuré.

- Qu’y a-t-il là-bas ? S’enquit le garçon en prenant la main d’Alexandre dans la sienne, comme pour le protéger.

La fillette répliqua avec malice :

- Le mieux n’est-il pas de nous y rendre, et de voir cela par nous-mêmes ?

Pour la première fois depuis des heures, Alexandre prit une initiative : Il lâcha la main de Jérémy et se plaça silencieusement à côté de la fillette. Manifestement prêt à la suivre, il prit sa main dans la sienne et, l’espace d’un instant, il parut exprimer un certain soulagement. Puis son regard se vida à nouveau.

Jérémy tourna un regard fatigué vers la jeune fille aux vêtements étonnamment lumineux et impeccables. Il lâcha finalement avec résignation :

- OK Julia. Allons-y, nous verrons bien ce que nous trouverons là-bas.

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Extrait des 40 premières pages :